L’écriture du scénario (3/4) : écrire le pilote d’une série

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Dylann Hendricks on Unsplash

Cette ressource du dossier sur l’écriture du scénario est une thématique abordée lors du stage de 2016. Devant l’offre foisonnante et diversifiée de séries, la surenchère est de mise. Comment réussir à inventer ou créer, ou à renouveler ce genre prisé par les spectateurs ? Comment répondre aux exigences du spectateur de plus en plus averti ? Un défi à relever pour des équipes de spécialistes.

Pour aborder la façon d’écrire un pilote, nous prendrons ci-dessous l’exemple de la série The Shield.

Le pilote d’une série à la télé est un peu le teaser d’un film au cinéma. Ce qui est montré doit donner envie et annoncer… la suite ! Il s’agit déjà de capter le spectateur et de lui promettre l’inédit, la nouveauté, voire l’exceptionnel, l’inoubliable. La série est un genre qui répond à des codes en évolution permanente. Si l’attention peut se porter sur une histoire, une esthétique, une atmosphère, des personnages, il n’en reste pas moins que le pilote est un exercice périlleux.

Un peu éclipsé par The Wire comme exemple phare de « police drama » des années 2000, The Shield est pourtant un superbe exemple de série policière. Son pilote est régulièrement cité comme modèle du genre.

Au début des années 2000, la chaîne FX (division de la 20th Century Fox) est à la recherche d’une série capable d’égaler le succès de The Sopranos (HBO) qui a relancé la mode des gangsters. Le grand succès du film noir Training Days (Antoine Fuqua, 2001) confirme l’idée de FX qui lance The Shield. Pour un pilote de série, l’enjeu est d’établir un microcosme. Cet épisode inaugural décrit un univers condensé et enrichi qui fait saillir les personnalités et les actions. Tous ce qui se déroule à l’écran doit être exemplaire et révélateur des épisodes qui suivront.

The Shield, Saison 1 / Épisode 1 : « Règlement de compte » (1re diffusion : 12 mars 2002), Chaîne FX, écrit par Shawn Ryan, réalisé par Clark Johnson.

Les principaux personnages et leurs fonctions

L’inspecteur Victor « Vic » Mackey

Personnage central de la série, Victor « Vic » Mackey est l’un des meilleurs policiers du secteur mais également un flic « ripoux ». Il contrôle parfaitement son univers : chef de la section spécial « Strike Team », père de famille, protecteur d’indics, ancien amant de Danni Sofer. Désinvolte mais impliqué, brutal et charmeur, défenseur des enfants et misogyne, Mackey est un personnage complexe et paradoxal, ce qui en fait un héros apte à se développer au fil des saisons.

Le capitaine David Aceveda

Récemment muté au commissariat, il va découvrir les rouages de ce nouvel univers. Incarnant une parole officielle, il entre en conflit avec Mackey et cherche à le piéger. Il incarne une vision théorique qui va se confronter à la réalité complexe du terrain.

L’inspecteur Holland « Dutch » Wagenbach

Inspecteur en butte avec Mackey, il incarne une autre approche de la police, plus douce et faillible. Il est amoureux de Danny Sofer et collabore avec Wyms et Aceveda.

L’inspectrice Claudette Wyms

Figure de vétérane, noire, elle connaît les rouages et aide Aceveda à faire ses premiers pas. Elle respecte l’attitude dissidente de Mackey. Elle sert de médiatrice entre les hommes du récit.

La sergente Danielle « Danny » Sofer

Jeune policière, ancienne maîtresse de Mackey. Wagenbach tombe amoureux d’elle. Potentiel objet de rivalité entre Mackey et Wagenbach.

Le genre

La séquence d’ouverture plonge le spectateur en pleine traque de trafiquants dans les rues de Los Angeles. Elle satisfait l’horizon d’attente d’un amateur de thriller urbain violent. L’enquête de l’épisode traite du kidnapping et de la vente d’un enfant à des fins sexuelles. C’est un sujet cruel et dérangeant qui symbolise la violence de l’univers qui se présente au spectateur. L’encrage documentaire est fort (The Shield s’inspire du scandale de la Rampart Division Police de Los Angeles qui inspirera la « Strike Team » de l’intrigue).
The Shield est donc immédiatement reconnaissable comme appartenant à un genre : le film noir.

Une écriture chorale

Le pilote annonce que cette série sera typique de l’écriture chorale. Autour de la figure omniprésente de Mackey se constitue un réseau de personnages. Chacun décline une attitude qui permet de complexifier les points de vues sur les situations.
Les regroupements de personnages évoluent : duo (Wagenbach et Wyms) / trio (Wagenbach, Wyms et Aceveda)/ collectif (la bande de Mackey). On remarque que Mackey est la figure transversale de cet univers. Il possède pratiquement un don d’ubiquité et semble ne jamais dormir : il est – pour l’instant – le maître de l’univers décrit.

Intrigue initiatique et tressage du récit

Le spectateur découvre par bribes les mécanismes du monde décrit. Le pilote s’ouvre donc avec l’arrivée du capitaine Aceveda, un personnage qui doit s’adapter à l’univers qu’il va devoir diriger. Il intègre un dispositif initiatique qui fait écho à la situation du spectateur qui découvre aussi le monde de The Shield. Les conversations jouent sur le principe connu de la double énonciation : toutes les informations données à Aceveda sont aussi destinées au spectateur. Le récit tresse deux intrigues. La première est l’enquête de l’épisode qui connaîtra sa résolution à la fin (le kidnapping et le sauvetage de l’enfant). La seconde amorce un récit au long cours qui va constituer l’arc de la série : la lutte entre Aceveda et Mackey. L’épilogue se traduit par un coup de théâtre qui permet une lecture rétrospective de l’épisode – Mackey savait depuis le début que Terry Crowley était un espion à la solde de Aceveda – et montre que Mackey peut tuer pour mieux régner.

Narration et rythme

Les scènes de ce pilote durent entre une et trois minutes. Le tempo est rythmé et cherche une relance perpétuelle de l’intérêt du spectateur. Le récit est linéaire, sauf la dernière scène rétrospective lors de la mort de Crowley. La narration est fondée sur une série de conflits avec une concentration des actions dans le temps (l’intrigue se déroule sur deux jours). À partir de la moitié de l’épisode, on constate un usage intensif des ellipses : la caractérisation des lieux et du groupe est réglée, on peut accélérer la piste principale. La recherche de l’enfant kidnappé crée un enjeu temporel fort qui motive aussi l’accélération globale du rythme. Avant le twist final, l’épisode se clôt par une séquence rétrospective qui décrit les personnages en fin de journée dans leur vie privée. C’est un procédé fréquent qui permet de clôturer un épisode (voir Desperate Housewifes par exemple).

Bilan

Le but d’un pilote est de faire découvrir un univers régit par ses codes, ses situations, ses habitudes. La temporalité spécifique des séries permet un sentiment immersif et empathique difficilement possible dans une fiction d’une heure et demie. Tout le travail de ce premier épisode est donc de gérer au mieux les informations tout en ménageant assez de mystères pour donner l’envie d’en savoir plus.

Retrouvez le résumé complet de l’épisode (en anglais) sur la page Wikipédia du pilote.

L’AUTEUR
Alban Jamin est enseignant de cinéma. Il est rattaché à la Délégation académique arts et culture (DAAC) de l’académie de Lyon. Il coordonne le Pôle de ressources pour l’éducation artistique et culturelle Cinéma (PREAC Cinéma).