Comment animer une analyse chorale ? (6/6) : Témoignages d’animateurs et de praticiens

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Cette ressource fait partie de la piste pédagogique “Comment animer une analyse chorale ?”

6. Témoignages d’animateurs et de praticiens

6.1 Le point de vue des animateurs

La pratique de l’analyse chorale en collège :
Caroline Puech, professeure de Lettres Modernes au Collège La Ponétie, Aurillac et Professeure Relais pour le Théâtre d’Aurillac.
Depuis que j’ai découvert l’analyse chorale lors d’une formation, j’apprécie de la pratiquer avec les élèves après avoir vu un spectacle. La pratique de l’analyse chorale en collège est en effet, intéressante à plusieurs points de vue. Dans un premier temps cela s’inscrit naturellement dans le Parcours d’Éducation à l’Action Culturelle (PEAC) puisqu’elle permet aux élèves la « découverte et la fréquentation d’œuvres d’art », facilitant ainsi la maîtrise de « codes » des langages artistiques et plus largement l’acquisition d’une « culture commune ».
Les élèves vont progressivement comprendre le fonctionnement global d’un spectacle et vont prendre l’habitude d’être plus attentifs aux décors, aux costumes, aux effets de lumières ou aux différents éléments que l’on retrouve sur scène. Il s’agit de les aider à apprécier le spectacle à travers leurs sens : ce qu’ils ont vu, entendu, ressenti…Cependant, l’analyse chorale confère une place toute particulière à la surprise, à l’étonnement, il faut donc bien expliquer aux élèves qu’il n’existe pas de « grille » préconçue pour analyser tous les spectacles, et que chaque spectacle est unique.  Un regard sans cesse renouvelé est indispensable.
Les élèves sont donc invités et encouragés à partager à partir d’éléments concrets du spectacle (le décor, les costumes, les couleurs, les images, le son, la musique, les personnages…). C’est pour eux beaucoup plus facile d’interagir car ils ne sont pas dans l’interprétation directe. Ils partent de ces éléments précis et essayent de formuler, avec leurs mots, ce à quoi ils ont pensé, ce qu’ils ont ressenti, à quelles autres œuvres aussi cela a pu leur faire penser…
Ces idées sur lesquelles chacun peut « rebondir » sont fondamentales car elles permettent au groupe de construire ensemble « une » lecture du spectacle. Une lecture bienveillante, sans jugements et surtout « adaptée » au groupe. En effet, en fonction des acquis des élèves, de leur fréquentation régulière (ou non) des domaines artistiques et littéraires, de leur maîtrise de la langue… la lecture ne sera pas la même. Peu importe, ce qui est important, c’est que l’on soit là pour les sensibiliser à une autre approche du spectacle vivant, pour les aider à développer leur esprit critique, à aiguiser leur sens de l’observation et bien évidemment à accepter et respecter la parole des autres. Comme il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, les élèves sont incités à justifier leurs remarques, à argumenter leurs propos, à les détailler.
 En outre, le principe même de cette « analyse » étant de partager, de confronter les regards autour d’un même spectacle, les élèves peuvent prendre la parole librement, sans être jugés, et participer ainsi à des échanges à partir de ce qu’ils ont vu, entendu ou ressenti lors du spectacle.  Cette bienveillance tout comme le côté « horizontal » de l’analyse chorale encouragent les élèves, 6èmes comme 3èmes à s’écouter et à échanger.
En cela, les intérêts concernant la maîtrise de la langue sont assez évidents et les élèves développent des compétences essentielles : être attentif, écouter puis prendre la parole en tenant compte de son auditoire, comprendre un message oral et s’exprimer, participer à des échanges oraux…
De par son inscription multiple dans le P.E.A.C, le Parcours citoyen (accepter et respecter la parole et le point de vue de l’autre) ou le Parcours Avenir (découverte et sensibilisation aux métiers en lien avec le monde des arts et de la scène…) la pratique de l’analyse chorale est à encourager et reste un moyen privilégié et facile à mettre en place dans nos classes pour diversifier la validation des
compétences de la fin du cycle 3 comme du cycle 4 tout en assurant aux élèves ainsi qu’à leurs enseignants de tisser des liens et de construire des échanges, riches de sens.

La pratique de l’analyse chorale au lycée :
Olivier Roux, professeur de Lettres au Lycée Murat à Issoire 63.
Quand ? Après que le groupe a vu le spectacle, nous pratiquons une analyse chorale. L’analyse du spectacle est initiée par l’analyse chorale pratiquée le plus tôt possible après la sortie.
Où ? Dans une salle de classe aménagée pour faciliter l’activité : les tables sont repoussées en périphérie afin que les élèves puissent s’installer en cercle. Les élèves ont leur cahier d’activités et prennent des notes à partir des échanges.
Qui ? La jauge idéale me semble être le groupe de 12 à 20 élèves.
Comment ? Les élèves doivent « suspendre leur jugement ». Ils ont bien évidemment le droit d’avoir aimé ou pas le spectacle, mais cela relève de l’intime et ne peut être l’objet d’une argumentation ni d’une analyse. Les élèves complètent par écrit deux débuts de phrases (jusqu’en 2022 : je vais peut-être modifier ma pratique en prenant en compte les nouvelles questions proposées par Amélie Rouher) :

o            « Dans ce spectacle / En allant voir ce spectacle, ce que j’attendais… »
o            « Dans ce spectacle, ce qui m’a étonné… »

Le groupe est ensuite invité à commencer l’échange que je conduis en tentant de faire approfondir certains points.

Pour quoi faire ?

  • L’un des objectifs est de développer la confiance des élèves-spectateurs en leur montrant qu’ils « voient bien » le spectacle, qu’ils remarquent de nombreux éléments pertinents. En effet, certains élèves ont « peur au début » (citation d’un élève, comme les suivantes) car ils ne sont jamais allés au théâtre.

La reprise du ballet de Preljocaj, Roméo et Juliette, en mai 2018, a pu réconforter les élèves qui avaient bien lu la métaphore sociale de la mise en scène proposée (par l’intermédiaire du décor mais aussi, et surtout, par celui des costumes). Leurs interprétations avaient été guidées lors d’une analyse chorale le lendemain du spectacle dans la salle de la Comédie par Laure Canezin (chargée des relations avec les publics) : les élèves avaient le décor sous les yeux et pouvaient vérifier leurs hypothèses en direct.
Les praticables du spectacle Les Grands de Pierre Alferi mis en scène par Fanny de Chaillé fin 2018 ont évoqué à certains élèves les étapes de la vie, les degrés d’une croissance existentielle, ce qui a été approuvé d’une seule voix par toute « la chorale ».

  • Je complète parfois leurs remarques par un apport didactique. C’est un point auquel les élèves sont sensibles : « le projet a été très enrichissant [et] a apporté de nouvelles connaissances grâce aux analyses collectives ».

Le refus du jeu « réaliste », de l’incarnation, de la psychologie, permet de rappeler aux élèves – qui le savent par ailleurs souvent – que La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco (vue en novembre 2017, dans la reprise de la mise en scène de Jean-Luc Lagarce) relève du théâtre de l’absurde. Les élèves ayant étudié ce théâtre au collège ont pu partager leur savoir avec leurs camarades.

  • Par ailleurs, l’horizon d’attente des élèves est formulé au moins en partie dans la réponse à la première question préparatoire de l’analyse chorale. Cette réponse révèle presque toujours, même chez les élèves de l’option théâtre, des aprioris très traditionnels. L’analyse chorale permet de mettre en œuvre une tentative de déconstruction de ces aprioris : « les représentations, combinées aux analyses et aux débats effectués en cours, ont permis aux élèves de développer leur esprit critique ».

Les spectacles où la danse est importante permettent aussi de définir ce qu’est le théâtre contemporain. Les élèves sont en effet souvent déroutés par ces spectacles. Vader, du collectif belge Peeping Tom, a été ainsi le point de départ en décembre 2017 d’une tentative de déconstruction de ces aprioris : Qu’est-ce que le théâtre ? En quoi le spectacle vivant est-il pleinement une expérience existentielle ? (Analyse chorale conduite par Amélie Rouher avec une classe de rugbymen).

6.2 Le point de vue des praticiens

Charlotte Carentotte, ancienne étudiante en Arts de la Scène à l’Université d’Auvergne
Novice, non-initiée, primo-arrivante. Voilà les termes que j’emploierai pour définir mon parcours de spectatrice à l’aube de mon parcours universitaire. L’analyse chorale est arrivée très tôt dans ma découverte du théâtre ; au fil des expériences, elle s’est avérée de plus en plus bénéfique.
Cet exercice m’a donné de nombreuses opportunités d’étoffer mes connaissances théoriques et ma culture théâtrale au travers des échanges fait au sein du groupe. Il m’a également offert la possibilité ne pas me sentir exclue ou à trop grande distance des œuvres vues. En effet, l’échange qui se met en place avec les autres participants m’a toujours permis de constater que je n’étais pas la seule à ne pas avoir saisie certaines références ou subtilités. En somme, la lecture collective des œuvres qui est faite au travers de l’analyse chorale m’a donné le temps et les codes pour appréhender avec plus de sérénité et de convivialité l’objet artistique qui est au cœur de l’échange.
Au-delà du caractère humain et convivial inhérent à l’exercice, je dirais que les analyses chorales ont construit mon regard de spectatrice et m’ont appris à aimer le théâtre et qu’elles sont véritablement un élément constituant de mon parcours de spectatrice.

Clara Flore, ancienne Terminale L spécialité Théâtre, étudiante
Pratiquer l’analyse chorale c’est d’abord prendre conscience, collectivement, que nous attendons quelque chose de l’acte théâtral. C’est prendre conscience que nous n’arrivons jamais vierges face au spectacle, que nos mémoires individuelles et collectives impactent notre réception.
Ensuite, c’est apprendre à dépasser le réflexe j’aime/j’aime pas pour comprendre les mécanismes scéniques qui font que l’on s’est sentis troublés ou inconfortables, touchés ou au contraire imperméables. L’analyse chorale permet de suspendre et dépasser le jugement de goût, grâce à l’étonnement. En s’interrogeant sur ce qui nous étonne et en confrontant nos étonnements à ceux des autres, nous trouvons collectivement des clés pour lire un spectacle.
J’ai appris grâce à la pratique de l’analyse chorale que regarder un spectacle n’est jamais neutre. J’ai aussi appris qu’on pouvait chercher des clés pour comprendre sans croire qu’il est important ou même possible de tout comprendre. Sans croire qu’il existe une seule vérité sur un spectacle.
Je pense donc que la force de l’analyse chorale c’est de dégager une lecture collective à partir d’étonnements individuels, partagés ou contradictoires. Une lecture qui ne prétend pas se poser comme vérité absolue. Pratiquer l’analyse chorale implique de savoir écouter l’autre, d’accepter les représentations différentes qui naissent devant un même objet artistique. L’analyse chorale est un prolongement de l’expérience partagée du spectacle.
L’analyse chorale ce n’est pas discuter et comparer des impressions à propos d’un spectacle en tachant de trouver un avis consensuel. C’est une pratique qui nécessite un cadre et un guide qui pose les règles, qui est capable de créer un climat de confiance entre les participants, qui permet à tous d’avancer et de surpasser les réactions purement émotionnelles sans pour autant imposer son point de vue personnel. D’après mon expérience, tout le monde peut participer à une analyse chorale, sans distinction de degré de connaissances théâtrales ou de sensibilité ou d’habitude au théâtre. En revanche je pense qu’animer une analyse chorale ne s’improvise pas et demande d’être formé.
Enfin, si je considère mon expérience, je dirais que pratiquer l’analyse chorale régulièrement permet d’acquérir un certain nombre d’outils qui restent dans le temps et qui permettent d’avoir une vie de spectateur riche et nuancée. Autrement dit, suspendre son jugement devient quelque chose de naturel, et aller voir un spectacle, quelques soient les circonstances, n’est jamais une expérience que l’on subit mais une expérience que l’on co-construit.  

Jeanne Espy, professeure de Lettres Modernes
Actuellement enseignante, j’ai eu la chance, dès mes premières années d’études, de participer à des analyses chorale, pratique que je poursuis avec plaisir aujourd’hui.
En Hypokhâgne et Khâgne, les analyses chorales m’ont permis d’élargir ma culture théâtrale et d’approfondir, dans un cadre plutôt scolaire, mes interprétations et réflexions de ces pièces. Le fait de confronter diverses pistes de compréhension sur une pièce de théâtre me parait aujourd’hui quasiment nécessaire. Il s’agit d’ailleurs des pièces que j’ai analysées dont je me souviens le plus. Parfois très éloignées de ce que j’ai l’habitude de voir, certaines performances m’ont énormément marquée (comme La Vase de Pierre Meunier et Marguerite Bordat ou Je Suis Fassbinder de Falk Richter mise en scène de Stanislas Nordey).
Aujourd’hui, encore intéressée par l’activité culturelle de ma ville ainsi que par la diversité des pièces qui sont proposées, j’aspire de plus en plus à découvrir de nouveaux horizons vers lesquels je n’irai pas forcément de façon instinctive. L’expérience de l’analyse chorale me permet de sortir de ma zone de confort, d’être parfois face à des doutes ou des incompréhensions au sortir d’une représentation. Si parfois l’expression de ses émotions arrive difficilement juste après la représentation, ces dernières cheminent dans mon esprit pendant plusieurs jours et le fait d’en parler créé un aboutissement très satisfaisant. L’analyse chorale est donc un moyen convivial et collectif de s’exprimer d’une part, de témoigner de ses doutes, de ses interprétations et de l’essence de la pièce dans un cadre neutre et sans jugement. Cette absence de jugement personnel, que nous avons malheureusement trop tendance à exprimer, est ce qui me plait le plus dans cette pratique. Cela permet d’être en confiance avec les autres, et de se forcer à approfondir nos analyses. C’est, selon moi, l’aboutissement ultime du visionnage d’une représentation.
Enfin, la richesse des points de vue, la diversité d’horizons d’attente ainsi que la bienveillance des participants et des dirigeants sont des facteurs très agréables et enrichissants.