L’appel du corps par les mots

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Récit simple d’un voyage de lecture de m.chebbah © Quadrille, 2020.

Comment aborder la littérature par le corps en mouvement et comment relier la puissance cinétique des mots à celle du corps en acte ?

Cette ressource a été créée suite aux premières rencontres nationales du PREAC  – La littérature, un art vivant – en février 2020. Vous trouverez ici des pistes pédagogiques concrètes adaptables, à partir de 12 ans (niveau 6e), dans le cadre scolaire ou extérieur. L’atelier se compose de plusieurs temps afin d’entrer étape par étape dans la possibilité de composer une mise en corps poétique résonnant avec le récit de manière créative.

Introduction

Avoir un livre entre les mains, c’est déjà se mettre en mouvement : le prendre, le regarder, l’ouvrir, le déplacer, l’écorner, l’annoter, le reposer, l’observer du coin de l’œil, l’imaginer, le reprendre page après page, puis y plonger et composer son rythme de nage (bref, discontinu ou prolongé).

Lire, c’est aussi se mettre en mouvement : sentir que les mots sont du mouvement, qu’ils dessinent en nous (différemment et communément) des dynamiques de compréhension et sensation, qu’ils façonnent une géographie cinétique révélant notre manière de sentir ce qui nous entoure et nous compose. Ainsi, afin de mieux sentir cette mise en mouvement, cette danse déjà engagée par les bouquets de mots, de phrases, de récits, de modes d’écriture qu’offrent la littérature, il s’agit  de proposer  aux participants (enseignants, acteurs culturels, etc.) un temps pour vivre davantage cette expérience sensible où la littérature bascule plus pleinement dans le corps sentant, dessinant, dansant. Autrement dit, il s’agit d’aborder la littérature sous son angle vivant pour donner la possibilité à chacun d’accroître sa connaissance des choses par l’expérience esthétique, vécue pleinement comme une expérience créative et « intellective » de son « être-en-relation » avec les choses. Et par là-même donner la possibilité, en rebond, de la partager avec des élèves et/ou du public, en inventant ultérieurement d’autres formes d’expérience esthétique articulant mots-récits/tracés de mouvement/corps en acte.

Piste pédagogique : partir d’une œuvre littéraire

Ici, il s’agit de proposer un atelier articulant récit littéraire et corps en mouvement en partant d’un livre proposant à la fois un récit et une réflexion sensible : Vendredi ou les Limbes du Pacifique de Michel Tournier (1967). Ce temps d’atelier peut accompagner la lecture du livre, l’introduire comme la conclure, ou encore la remémorer. Cela reste ouvert. Sans chercher à illustrer le récit, il s’agit d’aborder par le corps ce que le livre dégage autour de son rythme, ses réflexions, son champ lexical, sa poésie, sa puissance d’évocation… afin d’amener, en fin d’atelier, les participants à composer (entre corps dansant, mots, tracés) un acte performatif poétique imbibé des questions qu’entrouvrent, ici, le livre de Michel Tournier : la notion de cycle, de temps discontinu, compté, retrouvé, métrique, dilaté, vécu, etc.

Résumé de l’activité pédagogique

Prélude. Premier pas sur le temps

Série de petites mises en action/sensation autour du « temps » qui amènent les participants à sentir différentes manières de l’appréhender. Exemples : durée (propre et commune), temps métrique, temps ressenti.

Temps 1. Approche simple autour du corps vibrant 

Partir d’une exploration du corps comme paysage de départ, en se concentrant sur sa forme, son poids, sa mobilité ; ainsi découvrir « son » corps, dans et avec le groupe par des jeux de regards, de marches, d’unisson, de présences, en vue d’être prêt à traverser le livre sous différents axes.

Temps 2. Traversées dansantes suivant le fil du récit

En suivant, ici, le fil du récit, traverser l’espace par trois ou quatre en étant guidé par des consignes de déplacements et de mises en mouvement simples. Étape par étape, il s’agit d’amener chacun à vivre par le corps des états-étapes du récit : pieds sur terre, retenus par la boue, traversées cadencées, codifiées, signalétique du haut du corps, mouvements concaves et convexes, accents, ouverture, relâchement, abandon au sol, contrepoids, corps explosif, tremblements collectifs, duo sans leader, immobilité en résonance, variations de rythmes métriques (métronome), dispersement, contact, connexion, etc. 

Temps 3. Autour d’un fragment du récit

Lire (et écouter) un passage sélectionné du livre (cf. ressources), à haute voix et en se relayant dans le groupe. Former trois groupes pour relire le texte décortiqué selon trois grilles lexicales : verbes – mots courants – adjectifs (grilles distribuées aléatoirement à chacun des groupes). Cette lecture dépliée (faite en chœur et/ou en canon) donne à entendre le texte autrement : dynamique des verbes, orchestration concrète des mots, relief qualitatif. Enfin, énoncer de mémoire, à haute voix et en cercle, un mot de sa grille. Ce mot servira à la composition personnelle de chacun.

Temps 4. Composition personnelle

À partir d’un tracé graphique réalisé par chacun, créer un « court solo croisant mot senti, mot dessiné, mot dansé, mots associés créant un déplacement de corps, mot écrit, mot dit, etc. ». Sur une feuille A4 :

  • dessiner un tracé représentant un fragment de temps vécu révélant cinq repères marquants ;
  • redéployer le tracé dans l’espace en apposant, sur le sol, un scotch pour chacun des repères marquants ;
  • parcourir le tracé en marchant, pour l’intégrer, puis, à l’aide d’une série de consignes, inventer son parcours dansé performatif (cf. ressources) ;
  • mémoriser sa composition performative, tout  en laissant une part d’improvisation, pour être prêt à la montrer ; dans ce travail de composition, il s’agit de voir concrètement comment on peut s’imprégner d’un récit, d’un texte, de mots pour en faire surgir une forme créative, hors des sentiers de l’illustration.

Temps 5. Restitution-retour : un temps de regard et de retour sur les restitutions

Mettre ensemble (au hasard) plusieurs solos (quatre à six personnes selon l’espace) et former une composition collective, qu’on regarde en deux ou trois groupes (selon le nombre de participants). Enfin, permettre aux participants d’échanger sur l’expérience traversée (sensations, réflexions, interrogations, etc.), ainsi que de projeter une réappropriation de l’atelier proposant d’entrer dans un texte littéraire, par et avec le corps.

Prolongement vidéos

Thème de Numéridanse « Rencontres avec la littérature »

Prolongement du texte

Nous proposons ici quelques exemples réflexifs entre danse, littérature et mots :

Ressources associées au temps de pratique

Exemples de documents accompagnant la pratique :

  • au chapitre X de l’ouvrage de Michel Tournier Vendredi ou les Limbes du Pacifique, peut-être utilisé l’extrait commençant par « Ce qui a le plus changé dans ma vie, c’est l’écoulement du temps, sa vitesse et même son orientation. » et se terminant par « L’un et l’autre requièrent toute mon attention, une attention contemplative, une vigilance émerveillée, car il me semble – non, j’ai la certitude – que je les découvre à chaque instant pour la première fois et que rien ne ternit jamais leur magique nouveauté. »
  • partition de la composition personnelle permettant d’entrevoir les consignes (cf. ci-dessous).
Schéma partition © quadrille.2020

LES AUTEURES
Mary Chebbah et Bérengère Valour sont artistes, danseuses et pédagogues, autrices également de la collection « dançer » aux éditions Quadrille.