Comment mettre les textes littéraires en voix à plusieurs au sein de la classe ?

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Cette ressource propose des pistes pédagogiques pour mettre en place des séances de lecture chorale en classe à partir de la 6e jusqu’à la terminale. Elle a été créée suite aux premières rencontres nationales du PREAC Littérature – La littérature, un art vivant – en février 2020.

Introduction

Lire à voix haute et lire à voix haute à plusieurs : voilà qui peut être la source de véritables moments de rencontre avec les textes littéraires, et ce, d’une autre façon que par le biais de lectures analytiques « savantes » et, parfois, fastidieuses. Mais cela ne s’improvise pas. Bien lire à voix haute, cela s’apprend, cela ne se décrète pas.

Au cycle 4, le programme de français invite les professeurs de Lettres à développer chez leurs élèves la capacité à « exploiter les ressources expressives et créatrices de la parole », mais aussi à « élaborer une interprétation des œuvres littéraires », ou encore « à pratiquer divers langages artistiques en lien avec la connaissance des œuvres et les processus de création ». Une activité permet de tisser des liens entre ces trois compétences : il s’agit de la lecture à voix haute.

Déroulement

Il s’agit ici de proposer une séquence en trois temps :

  • le premier temps est intitulé « faire ses gammes » : à partir d’exercices simples, il s’agit de montrer aux élèves comment faire « sonner » les voix et éprouver, sur de courts textes, les différents paramètres sur lesquels ils pourrons jouer (rythme, tempo, hauteur, fluidité, etc.) ; plusieurs séances peuvent être nécessaires ;
  • le deuxième temps est intitulé « lisons ensemble ! » : à partir de corpus en lien avec la  thématique travaillée en lecture, il est question d’amener les élèves à confronter leurs voix à travers plusieurs contraintes polyphoniques, proposées par l’enseignant et discutées ensuite après expérimentation ;
  • enfin, le troisième temps est celui de la création à plusieurs : les élèves seront invités à s’emparer des différentes consignes, et des différents paramètres abordés, pour proposer à deux ou trois une « lecture chorale » d’un texte à choisir parmi une sélection résolument ouverte et éclectique (qui peut être celle de l’enseignante ou de l’enseignant, ouvert aux propositions des élèves !).

Étape 1 « Faire ses gammes » : Pistes d’exercices « techniques » pour entretenir et exercer son « instrument »

Dans ce premier temps, on partira d’une citation de Paul Valéry : « Et donc, et surtout, ne vous hâtez point d’accéder au sens. Approchez-vous de lui sans force, et comme insensiblement. N’arrivez à la tendresse, à la violence, que dans la musique et par elle. Défendez-vous longtemps de souligner des mots ; il n’y a pas encore des mots, il n’y a que des syllabes et des rythmes. Demeurez dans ce pur état musical jusqu’au moment que le sens survenu peu à peu ne pourra plus nuire à la forme de la musique. Vous l’introduirez à la fin comme la suprême nuance qui transfigurera sans l’altérer votre morceau. » (De la diction des vers)
La citation permet de poser le cadre des premières séance de travail : dans l’activité de « lecture à voix haute à plusieurs », il y a une place fondamentale accordée à la voix, dans sa dimension sensible.
Les premiers exercices permettront aux élèves de se reconnecter avec leur voix, pour ensuite accorder leur voix avec celle des autres.

1) Première série d’exercices : la respiration et la posture

Les élèves se mettent debout, en évitant l’image de l’arbre, intéressante mais dangereuse : à trop s’enraciner dans le sol, on risque de ne plus bouger ! Il faut plutôt leur demander de penser à un ballon retenu au sol par une main d’enfant. Ils sont donc debout, droits, genoux légèrement fléchis, déverrouillés : la tête souple, les épaules baissées, les yeux mobiles. Pour bien envoyer du son, il faut être à l’aise dans son corps !

Quels exercices de respiration peut-on proposer ?

  • Respiration ventrale : inspirer en gonflant le ventre, expirer en relâchant le ventre.
  • Toussoter, puis faire sonner ces sons consonnes – f f f / ch ch ch / s s s / j j j – pour sentir le diaphragme.
  • Pour tenir le souffle : respirer dans une paille et, en mettant une main au bout de celle-ci, sentir l’air frais qui circule.
Exercice sur un texte

Lire un texte à plusieurs, chacun son tour ; on ne tient pas compte de la ponctuation, on s’arrête quand on n’a plus de souffle (sans tricher) et le suivant continue là où on s’est arrêté.

Support : « pardon Victor » ainsi nommé parce qu’il s’agit d’une célèbre poème de Victor Hugo, Demain dès l’aube, qui sert de support…

« pardon Victor
demain dès l’aube à l’heure où blanchit la campagne je partirai vois-tu je sais que tu m’attends j’irai par la forêt j’irai par la montagne je ne peux demeurer loin de toi plus longtemps je marcherai les yeux fixés sur mes pensées sans rien voir au dehors sans entendre aucun bruit seul inconnu le dos courbé les mains croisées triste et le jour pour moi sera comme la nuit je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe ni les voiles au loin descendant vers Harfleur et quand j’arriverai je mettrai sur ta tombe un bouquet de houx vert et de bruyère en fleurs »

2) Deuxième série d’exercices : explorer les ressources de la voix

Premier paramètre : la matérialité du son, le timbre

Nous allons mener les élèves à travailler la voix comme « matériau sonore ». Ils vont « mastiquer l’écrit », se mettre l’écrit en bouche.

Pour que le son sonne, il faut rappeler que l’écrit code du SON.

Voici les exercices progressifs :

    • les voyelles A E I O U OU IN AN ON UN ;
    • les consonnes : p/b m/n/gn  t/d  k/g  f/v  ch/s/z  r/l ;
    • les groupes consonantiques complexes : br / pr / cr/rc / vr / sp/ps.
    • « Transformons-nous en Monsieur Jourdain » pour faire sonner les lettres ou plus précisément les graphèmes (notons que ce lexique de spécialité n’est pas nécessairement à donner aux élèves !) ;
  • « je m’appelle… » : en détachant les SONS (pas les lettres) ; leur faire épeler son prénom (on se rend compte que le nombre de lettres ne correspond pas au nombre de sons ! Un prénom comme « stéphanie » ne contient que 7 sons /s/ /t/ /é/ /f/ /a/ /n/ /i/) ;
  • puis, sur un texte : ne lire que les voyelles, puis que les consonnes ; on peut proposer un jeu : les élèves reçoivent aléatoirement des phrases, chacune d’entre elles étant proposée en double exemplaire ; l’enseignant lit d’abord toutes les phrases, en demandant aux élèves d’être très attentifs à la forme sonore de chacune d’entre elles, puis un premier élève dit sa phrase, mais seulement les sons voyelles ; l’élève qui a la même phrase et qui l’a reconnue doit à son tour la lire, mais en ne faisant sonner que les sons consonnes.

Support : cela peut être des phrases tirées de textes étudiés auparavant ou des proverbes courts et célèbres.

Deuxième paramètre : la diction et l’élocution 

L’exercice du crayon, bien connu des cours de théâtre : demander aux élèves de lire un texte avec un crayon dans la bouche.

Proposer également des virelangues (ex : il fait chaud chez ce cher Serge / vole belle libellule bleue / le Turc atteint titube et tombe / cogne ces quatre courtes quilles / panier piano, etc.) ou des textes littéraires fondés sur ce principe : par exemple, le texte de la chanson de Bobby Lapointe, Ta katie t’a quitté.

Troisième paramètre : la hauteur

Il faut maîtriser quatre hauteurs de voix : la voix chuchotée (avec du souffle) / la voix parlée basse / la voix parlée / la voix forte (avant le cri).

Un exercice d’appropriation pour mener les élèves à la maîtrise de ce paramètre : donner un même texte (très court) au groupe, texte qui sera dit avec les quatre hauteurs dans un ordre croissant (du plus bas au plus haut) puis décroissant (ce qui est plus difficile). Puis quand ces passages sont maîtrisés, on peut jouer au chef d’orchestre qui fait changer de hauteur. Le professeur peut jouer le rôle du chef d’orchestre, puis le confier à un élève.

Quatrième paramètre : le débit et les  jeux de rythme

Sur un court texte, varier le rythme : accélérer, puis décélérer, lier les mots, les détacher. Le jeu du chef d’orchestre peut également être proposé.

3) Troisième série d’exercices : « présence à l’autre » et introduction à la lecture chorale ou lecture « ensemble »

Il s’agit de proposer une lecture polyphonique sur un texte court, en superposition, à l’identique.

  • Version 1 facile : les élèves sont en cercle. Le lecteur 1 oralise la première phrase, le lecteur 2 se rajoute en superposition sur la deuxième phrase, le lecteur 3 en superposition aux deux précédents sur la troisième phrase, et ainsi de suite. L’objectif est d’arriver à lire en même temps, au même rythme, à s’accorder.
  • Version 2 plus difficile : lecteur 1 sera le « soliste ». Il lit seul la première phrase. Sur la seconde phrase, en même temps que lui,  plusieurs lecteurs s’ajoutent. Mais sur la phrase 3, il lit à nouveau seul. Puis sur la phrase 4, les lecteurs lisent à nouveaux tous ensemble. Cette alternance soliste/chœur demande un bon travail de concentration et d’écoute. Avant chaque phrase, l’annonce doit être faite du nombre de lecteurs qui vont lire.

Étape 2 : « lisons ensemble »

À l’issue de cette phase de gammes, les élèves peuvent passer à l’étape suivante : la polyphonie sur des textes littéraires qui ne sont pas des « supports » d’exercices.

Dans l’exemple qui suit, adapté au niveau 4e, il s’agit de mettre la lecture chorale à l’épreuve de textes poétiques sur le thème du « dire l’amour ». Quatre textes poétiques sont proposés, chaque groupe d’élèves (binôme ou trinôme) se voyant confier un de ces textes. Si possible, les textes ont déjà été rapidement lus/interprétés en classe (pour dégrossir le lien mise en voix/compréhension).

Pour chaque texte poétique, plusieurs consignes sont proposées, mais chaque groupe n’en a qu’un. On invite les élèves à découvrir le texte dans leur groupe, à essayer la consigne qui leur a été attribuée, à s’entraîner. Puis les groupes présentent leur oralisation aux autres, sans préciser quelle consigne leur a été donnée : ce sont les auditeurs qui devront la reformuler. Il est possible également qu’à ce stade-là certains élèves aient envie de proposer (et d’expérimenter) d’autres consignes.

Ensuite, plusieurs consignes ayant été proposées par poème, les élèves sont invités à exprimer ce qu’ils ont ressenti et quelle consigne leur semblait la plus adaptée au texte. Cette phase d’échange sur les consignes et leur adéquation – ou non – au « sens » du poème est très riche et permet de sortir d’un travail d’interprétation qui s’appuie sur des outils d’analyse littéraires parfois compliqués pour les élèves.

Des exemples de consignes

  • Lire alternativement un vers chacun, mais lire le 4e vers ensemble ; l’un lit le premier vers, l’autre le deuxième, puis le troisième est lu ensemble…
  • Lire en canon : décalage d’un vers ; variante : en canon, décalage d’une strophe.
  • Le soliste lit le texte en entier, le choriste lit la fin des vers en même temps que le soliste (à déterminer ensemble).
  • L’un chuchote, l’autre lit à voix parlée en même temps.
  • En polyphonie : l’un commence par la fin, l’autre par le début (bien se synchroniser sur les vers).

Étape 3 : vers une création collective

On proposera aux élèves de s’emparer des différentes consignes proposées, éventuellement de les mélanger et de les mettre à l’épreuve d’un autre texte.

On ne doit pas se limiter aux textes poétiques, des textes narratifs peuvent également se prêter à ce travail. Ce peut être des textes proposés par l’enseignant, en prolongement d’une séquence thématique menée précédemment, mais les élèves peuvent aussi être invités à apporter leurs propres textes. Ceux-ci proposeront ensuite à leurs camarades leur lecture chorale du texte.

L’AUTEURE
Stéphanie Berthaud est professeure de Lettres modernes dans l’académie de Grenoble.