Ce que l’opéra raconte : esquisse de cartographie

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Massacre © Patrice Nin

En 1985 dans Prometeo, son opéra-testament, l’Italien Luigi Nono inventait une « tragédie de l’écoute » métaphorisant, à travers la figure de Prométhée l’éternel rebelle, une crise inédite de la modernité et de ses utopies. Le sort du géant mythologique, condamné pour avoir transmis le feu du savoir à l’Humanité, est connu. Pour l’évoquer, Nono réfute toute mise en scène, substituant l’écoute au récit, et la superposition des textes, des sources et des fragments à la narration :

« Le silence. Il est très difficile à écouter. Très difficile d’écouter dans le silence, les autres[1]. »

Chute des utopies politiques, effacement des dramaturgies héritées, mise à distance radicale de la notion de récit enfin : Prometeo ne raconte rien, mais affronte, par son morcellement à la limite du silence, l’hypothèse d’une disparition du genre lyrique. Trente ans plus tard, le philosophe italien Giorgio Agamben interroge des enjeux similaires :

« Au nom de quoi pourrait donc parler le philosophe aujourd’hui ? Cette question vaut aussi pour le poète. Au nom de qui et de quoi et à qui et à quoi peut-il s’adresser ? La possibilité d’un ébranlement historique du peuple – a-t-on pu dire – s’est envolée. L’art, la philosophie, la religion, ne sont plus en mesure, en Occident, d’assumer la vocation historique d’un peuple pour le pousser vers une nouvelle mission[2]. »

À l’aune de ces deux positions radicales, l’opéra serait-il encore un genre capable de soutenir des récits historiques, de réinterroger les formes narratives anciennes, d’inventer de nouvelles dramaturgies ?

En somme, que nous raconte l’opéra d’aujourd’hui et comment les récits se déploient-ils sur les scènes lyriques ? Les journées imaginées par le PREAC de l’Opéra de Lyon ont précisément choisi ce thème. À partir de créations françaises des dix dernières années, le document qui suit interroge ce fil rouge. Les productions qui y sont évoquées n’ont pas vocation à constituer un panorama exhaustif mais plutôt à décliner plusieurs modes d’approche des récits lyriques.

[1] Luigi Nono, « L’erreur comme nécessité », in Écrits, 1993, p. 495.
[2] Giorgio Agamben, « Au nom de quoi ? », in Le Feu et le Récit, Paris, Payot, 2015.

L’AUTEURE
Charlotte Ginot-Slacik est spécialiste des relations entre musique et politique au xxe siècle. Elle est docteure en musicologie et enseigne au CNSMD de Lyon. Elle a publié Musiques dans l’Italie fasciste (coécrit avec Michela Niccolai, Fayard, 2019), récompensé en 2020 par le Grand Prix France-Musique / Claude Samuel. Ses recherches interrogent actuellement la représentation de la Méditerranée sur les scènes lyriques. Comme dramaturge, elle collabore en parallèle avec l’Orchestre national du Capitole et travaille régulièrement avec l’Opéra national de Lyon, l’Opéra national de Lorraine, l’Opéra de Paris, etc