L’écriture du scénario (2/4) : le dialogue, étude de cas « Mindhunter »

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Etienne Girardet on Unsplash

Cette ressource du dossier sur l’écriture du scénario est une thématique abordée lors du stage de 2016. Le dialogue apporte des informations au spectateur sur l’intrigue ou les personnages. En un mot, il participe à la dramaturgie. Rarement neutre, quelle que soit son utilisation, il peut maintenir  une tension dramatique que seule une scène de course-poursuite dans les rues de San Francisco pourrait concurrencer.

Nous allons donc nous consacrer ici à l’analyse d’un dialogue tiré de Midhunter.

La série s’inscrit dans une durée plus ou moins longue avec pour objectif de capter l’intérêt du spectateur et, surtout, le maintenir. L’intensité peut aller crescendo et le dialogue autant que l’action ont un rôle à jouer. Comment une conversation à trois autour d’une table peut-elle nous maintenir en haleine ?

La série Mindhunter (David Fincher et Charlize Theron, Netflix, 2017-2019) retrace la création de la cellule du FBI spécialisée dans l’étude des tueurs dits « en série ». L’action se déroule durant les années 70 et 80 et suit les agents Ford et Tench qui sillonnent les pénitenciers américains afin de recueillir la parole de criminels. Leur objectif est de déceler des similitudes entre les pathologies et les crimes afin d’établir une science plus exacte qui aidera à traquer ces individus. L’action est avant tout verbale et la série est un bijou d’écriture. Lors de la seconde saison, le duo d’agents rencontre Charles Manson. Cette confrontation à un personnage réel devenu l’incarnation du mal absolu dans l’imaginaire américain est un moment culminant ou charnière .

I/ Le dialogue

Le texte ci-dessous retranscrit le début du dialogue entre les trois personnages, les deux agents du FBI et Charles Manson :

Mindhunter
Saison 2 / Épisode 5 (2019)
Teleplay : Pamela Cederquist & Liz Hannah
Réalisation : Andrew Dominik
(35’10 => 38’10)

II/ Analyse

L’échange entre Charles Manson et les héros de Mindhunter offre un exemple typique d’écriture hollywoodienne. Tout concorde ici à valoriser les puissances de la parole afin de consolider l’intrigue principale tout en développant le parcours intime des personnages.

Un environnement sonore capital

Le face-à-face entre les inspecteurs et Manson est orchestré de manière progressive. Avant même l’arrivée du criminel et avant même que les premières paroles soient prononcées, l’environnement sonore prend une place déterminante. La prison, caractérisée par une réverbération du son des portes métalliques qui claquent et des verrous qui s’ouvrent, crée un écrin sonore idéal pour valoriser l’apparition presque fantastique de Manson. Ainsi, avant de le voir, c’est un écho sonore qui guide le regard des agents vers le couloir. La musique se mêle habilement au mixage sonore par la diffusion de nappes de sons graves et de quelques notes discordantes. Plus généralement, les sons ponctuent certaines répliques : par exemple, lorsque Ford dit « Nous aimerions entendre votre version des événements. », la porte de sécurité se ferme avec une déflagration qui annonce l’enjeu dramatique naissant.

Une mise en scène au service du dialogue

Manson ne parle pas tout de suite. Il observe et s’installe d’abord sur le dossier de son siège pour surplomber ses interrogateurs. Le temps semble s’étirer grâce à une série de plans de coupe sur les regards échangés entre Ford et Manson. C’est Tench, insensible aux charmes du criminel, qui ouvre le dialogue. L’enjeu de la mise en scène est de dynamiser une situation peu spectaculaire. Les changements d’axes et de plans deviennent majeurs. On dénombre vingt-neuf plans en trois minutes, avec une accélération de l’enchaînement des plans à partir de la réplique : « Vous avez des enfants, agent Tench ? » On constate alors que la cadence des plans est liée à l’intensité thématique du dialogue. La question de Manson sur les enfants de Tench correspond à un gros plan de son visage auquel répond un gros plan de Tench. L’échange n’est alors plus professionnel, mais personnel. Le criminel mène désormais l’entretien sur le terrain de la morale et de l’intimité (scénaristiquement, c’est un coup de maître, sachant que le propre fils de Tench développe des pulsions homicides et confronte ce dernier à une blessure intime).

L’écriture du dialogue

Le lexique utilisé, volontairement réduit, ne concerne que quelques thématiques fondamentales : la « famille » et, surtout, « les enfants ».

D’autres termes annexes sont répétés d’une réplique à l’autre pour fluidifier les échanges et élargir la thématique globale qui mêle amour et violence (par exemple, « vérité », « amour », « se lever », ou encore « couteau », « endoctriné », etc.). On notera également qu’un mot important prononcé par l’inspecteur est immédiatement repris de manière systématique par Manson, lequel développe alors un contre-argument fondé sur ce terme répété. Cette récurrence des mots-clés permet d’expliciter les enjeux et d’aider le spectateur à la bonne compréhension des échanges. La situation d’interrogatoire facilite les relances et la densité des échanges, avec la prédominance du mode interrogatif.

L’intérêt de la séquence réside dans le renversement des questions puisque c’est Manson qui va rapidement devenir l’interrogateur. La ligne narrative qui tend à faire progresser l’enquête des agents est peu à peu remplacée par la ligne morale qui transforme l’interrogatoire en un sermon dévoyé de Manson sur l’éducation des enfants. Il y a donc bien une dramatisation interne à la parole. L’idée sous-jacente de la séquence est alors de montrer l’habileté de Manson à manipuler ses interlocuteurs en pervertissant l’usage des mots (la « famille » et les « enfants » de Manson, termes qui désignaient  sa communauté et ses membres) puis à renverser la situation d’interrogation. On assiste ainsi à une véritable prise de pouvoir par la parole.

L’AUTEUR
Alban Jamin est enseignant de cinéma. Il est rattaché à la Délégation académique arts et culture (DAAC) de l’académie de Lyon. Il coordonne le Pôle de ressources pour l’éducation artistique et culturelle Cinéma (PREAC Cinéma).